lundi 3 août 2020

Impressions cochinchinoises


Article tiré d'un livre de Huu Ngoc - A la découverte de la culture Vietnamienne.





Janine Toroni a eu la gentillesse de m’envoyer de Paris son livre Les filaos de Cau Thi Vai. Elle compte parmi mes vieilles connaissances, plus ou moins passionnées du Vietnam. Nous avons une amie commune, Alice Kahn, femme de lettres, qui avait traduit avec moi un recueil de Chansons populaires du Vietnam en 1958 et laissé un ouvrage sur la prose vietnamienne avant de nous quitter vers là fin du siècle dernier.



Janine Toroni était née en 1932 d’un père forestier et d’une mère enseignante, à la belle époque de la colonisation française en Indochine. Elle a passé une grande partie de son enfance dans la forêt, est devenue adolescente à Saigon qu’elle devait quitter à l’âge de seize ans. Cinquante ans après, elle a évoqué dans Les filaos de Cûu Thi Vai les souvenirs d’une enfance et d’une adolescence cochinchinoises qui avaient marqué profondément sa vie.

Cochinchine est le nom donné à la partie Sud du Vietnam (nom vietnamien : Nam Ky) par l’administration coloniale française. Elle avait le statut de colonie tandis que les parties Nord (Tonkin) et Centre (Annam) étaient des protectorats (étymologiquement, Cochin est la transposition en portugais des idéogrammes chinois Giao Chi : Giao (de Giao Long = serpent sacré, crocodile, dragon, sans doute un totem) et Chi (région, territoire). Giao Chi (Région des pêcheurs se tatouant en crocodile, dragon) était le nom donné par l’Empire du Milieu à l’ancien Vietnam qui en faisait partie.

Les souvenirs de Toroni sur la Cochinchine dans Les filaos de Cau Thi Vai me font penser à Ma chère Cochinchine (1912) de Georges Durrwcl et naturellement à L’Amant (1983) de Marguerite Duras. L’administrateur Durrwel parle de sa Cochinchine des années 1881-1910, laissant poindre plus d’une fois une certaine condescendance colonialiste à l’égard des “Annamites de Cochinchine” auxquels il dédie son livre. Dans l’œuvre de Duras, la Cochinchine n’est souvent qu’un cadre pour l’explosion d’une maturité précoce. En tant qu’asiatique, plus que l’esprit de révolte et le bouillonnement des sens de l’adolescente Marguerite me plaisent la douceur sentimentale et l’exotisme au quotidien chez l’enfant Janine.



Tandis que la mémoire de Duras s’arrête à l’époque coloniale, celle de Toroni me fait revivre tous les bouleversements du Vietnam moderne : l’occupation japonaise, le régime pétainiste de Decoux, le coup de force nippon du 9 mars 1945, la Révolution d’Août 1945 avec l’entrée dans Saigon de manifestants paysans en noir des campagnes, avec le retour à Hanoï le 2 septembre 1945, jour de la célébration de la Fête nationale. Mais Les filaos de Câu Thi Vai n’est pas un livre politique. C’est un charmant recueil de 87 poèmes en prose, un album de fines esquisses qui font découvrir au lecteur non seulement la Cochinchine au temps des coloniaux, mais encore l’éternel Nam Ky avec son pittoresque milieu naturel et social, ses lumières et ses pluies, ses bruits et ses odeurs, son immense potentiel humain.



Je suis particulièrement sensible aux descriptions de la nature : valse des saisons, forêt, arroyos, bêtes et plantes.

Voici la saison sèche :

“ … Pas un mage, pas un souffle d’air

Le rach (arroyo) est presque à sec.

… Dans le ciel crépusculaire, un aréquier profile son toupet immobile.

Déjà une lumière scintille dans une paillote

Lointaine une berceuse module le temps

Un chien aboie. La nuit est là

La première pluie de la saison humide :

“ … Les premières gouttes, grosses comme des pièces de 5 sous, s’écrasant grassement.

Bientôt les éclairs se succèdent, déchirant le ciel qui n’en finit pas d’exploser et de se répandre en eau.

… À travers le rideau d’eau, les bananiers ressemblent à des fantômes balançant leur suaire vert et les feuillages des filaos ondulent comme des chevelures d’Immortelles…”



Le flamboyant :

“ Autour de son pied, le semis des fleurs tombées rougeoie dans l’ombre tout le jour.

Et quand vient le soir, tout sombre dans le noir :

Le flamboyant, son ombre et les pétales fanés à terre ” … etc De tels extraits, on n’en finit pas. Le livre est à savourer en entier.





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